




|
C'est une équipée bien lamentable,
à part Alexis, toujours transformé en bête
féroce, qui enjambe facilement la balustrade de la terrasse
basse du palais. Piotr l’imite en gémissant et ils
doivent nous tirer tant nos tenues nous entravent. Alexis enfonce
une porte-fenêtre. Nous sommes dedans mais la situation est
tout aussi apocalyptique à l'intérieur du palais :
les barbares semblent être en terrain conquis.
_ Regarder !
La nuit a disparu dehors, remplacer par un mur
verdâtre qui englobe une partie des flots, du palais et des
jardins qui se consument toujours.
_ Un champ de force. Ils vont tranquillement
rassembler les prisonniers et charger leurs nefs maudites.
_ C'est infranchissable, personne ne viendra
à notre secours.
_ Et une fois tout le fruit des pillages
embarqués dans les nefs, ils repartiront et nos soldats
n'oseront pas tirer, pour ne pas tuer les nôtres à
l'intérieur.
_ Rien ne peut passer au travers de cette chose
?
_ Rien que nous connaissons, non.
_ Alors, restons tranquille, avec beaucoup de
chance, ils ne nous remarqueront pas.
_ C'est ce qu'il y a de mieux à faire, mais
ils vont utiliser des détecteurs pour être certain de
ne laisser personne derrière eux.
Je ferme les yeux. Finalement cette attaque d'une
violence insensée m'a fait revenir dans la
réalité pour la première fois depuis
longtemps. Je me retrouve avec la même angoisse que dans la
forêt primitive, lors de notre arrivée. Je suis
là. Je ne vais pas disparaître, je vais peut
être mourir. Autant être capturée. Après
tout, ce ne sont pas les femmes qui commandent dans les mondes
barbares ?
_ Je ne veux pas y retourner.
C'est Jade qui me parle.
_ Pourquoi ?
J'en viens de là bas, j'étais une
esclave, j'ai vu mon père torturé jusqu'à la
mort parce qu'il avait osé regarder une maîtresse.
C'était mon père et je n'avais pas le droit de
l'appeler père parce que j'appartenais à cette femme
et...
_ Jade. Tu vas nous faire prendre. Calmes toi.
Je la serre dans mes bras. Elle sanglote contre mon
visage. Visiblement, les femmes ne commandent pas chez les
barbares, cela doit être plus simple que cela. Il y a les
maîtresses et les esclaves, des esclaves des deux sexes.
La troisième jeune fille qui nous accompagne
a les yeux vides, je la trouve plutôt belle.
_ Elle a raison, j'en viens moi aussi de
là-bas, je travaillais dans les champs, c'est pour cela que
j'ai été capturée. C'était le plus beau
jour de ma vie.
_ Ils arrivent, dit simplement Alexis en levant un
pistolet qu'il a dû ramasser lors des combats.
Cela va vite et lentement. Alexis tire en
avançant vers un groupe de barbares sanglés dans des
harnais de cuir, portant des cagoules qui recouvrent leurs visages.
Piotr arrête net la charge de son premier adversaire,
plantant son sabre court d'emprunt juste au-dessus du nez de
l'esclave soldat. Il fauche un second barbare, Alexis lance son
pistolet vers nous en évitant une rafale de laser qui
enflamme ses cheveux. La jeune fille inconnue s'en saisie.
_ Tu veux que je te tue ?
Je secoue la tête, elle hoche la sienne, pose
le canon contre sa tempe et presse la détente, le trait de
feu lui arrache la moitié supérieure du visage, plus
rien ne peux me surprendre, pas même cette morte qui tombe
sur le côté. Alexis décapite un barbare en
s'entourant la tête d'une cape pour étouffer les
flammes, Piotr tombe, la jambe droite tranchée au-dessus du
genou ; il a le temps de lancer sa lame dans l'oeil de son
bourreau, ils se vautrent en même temps sur les dalles de
marbre du palais, l'un déjà mort, l'autre rendu
à moitié fou par la douleur. Alexis se redresse,
renverse une brute aux mamelons percés par des anneaux, en
cingle un autre et hoquette de surprise quand un dard le
transperce, il pivote pour faire face à la grande femme
brune qui vient de l'embrocher comme un poulet. Il brise la fine
lame d'un coup de sabre et plante son arme dans le ventre
bronzée de la jeune maîtresse, juste au niveau de son
nombril recouvert par un bijou. Il la soulève d'une main et
la balance sur deux autres agresseurs, un trait de feu l'enveloppe,
il bascule, s'adosse à un mur, son bras gauche, son
omoplate, la moitié de la poitrine manque. Il est encore en
vie, assez pour avancer encore et embrocher celui qui vient de
tirer mais il n'a plus de force. Il lâche la poignée
de son sabre, il fait encore un pas en avant, le sang coule de sa
bouche et de ses yeux. Un barbare veut le décapiter, il n'en
a pas le temps, il s'effondre : Piotr a
récupéré un pistolet, sa jambe ne saigne plus,
il le tient à deux mains, il tire, tire encore et encore
puis il s'effondre enfin.
Le cliquetis familier des talons aiguilles, un coup
de fouet qui s'enroule autour de ma taille et me tire vers le haut.
Je suis entraînée vers une maîtresse
furieuse.
_ Je vais prendre plaisir à te transformer
en petite poupée obéissante, hurle t-elle dans mes
oreilles.
« N'est ce pas déjà ce que je
suis ? » Ai-je envie de lui répondre. Mais je ne dis
rien, tout comme Jade, qui ne pleure plus. Ils ligotent mes
poignets dans mon dos, la corde est trop serrée, je dois
saigner malgré le gant qui me protège. Des
poussées, des coups de fouets, je suis amenée
jusqu'à la plage, devant le palais. Deux nefs barbaresques
sont prêtes à décoller, posées sur le
sable blanc.
_ Boris ?
Il est nu ou presque, dégoulinant d'eau
glacée, il tient dans ses mains un fusil gris. Visiblement
il vient de nager jusqu'à cette plage, malgré le
champ de force.
_ Abattez ce chien d'impérial !
Les traits de feux l'entourent mais Boris est
toujours là, campé sur ses jambes, lui aussi porte un
bouclier anti-laser sûrement.
Il riposte, je vois un pinceau laser se poser sur
le front des gardes juste avant l'explosion inévitable de
leurs têtes puis Boris pose un genou à terre et il
tire sur un cube gris posé sur le sable, entre les deux
nefs.
|