TEXTES

 

Une saison sur Boréa

 

Par Carine.

Chapitre IX

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Tout à une fin, même six mois dans l'institut. Je regarde pour la dernière fois la chambre coquette abritant nos quatre lits. Le terme de chambre est bien inadapté : c'est un petit appartement ou plutôt une petite suite, avec la chambre, un cabinet de toilette et un dressing, des murs d'un bleu très pale sont décorés de tableaux naturalistes, des bouquets de fleurs sont posés sur les commodes, ils sont changés tous les jours par les servantes, mais tout cela est fini.

  

  La duchesse du Septrion a envoyé un chaperon pour me guider jusqu'à la résidence du professeur Calmette, dans la capitale. Cette ville qui rassemble les trois quarts de la population de l'Empire porte le nom de New Heaven. Je porte une tenue de sortie des plus élégantes : Un tailleur gris qui enserre ma taille, moule mes cuisses et mes fesses dans la jupe, sous le genou, mes épaules sont exagérées par les épaulettes, je porte un petit chapeau à voilette sur mon chignon banane, des gants en cuir noir toujours trop petits, des bas en nylon noirs, leurs coutures impeccablement tendues par les six jarretelles de mon corset serré à quarante-six centimètres. Je trottine à petits pas dans les couloirs de l'institut, juchées sur des escarpins vernis avec un talon de dix centimètres. Deux chaînettes en or, enroulées par-dessus le bas, ornent les chevilles, mettant en valeur leurs finesses.

  Le fait de porter une chaînette à chaque cheville par-dessus le bas à un double sens : Sur la jambe droite, le pendentif permet de savoir que je sors de cet institut, par-dessus le bas signifie que je suis vierge. C'est évidemment un code inventé par les élèves en secret des professeurs et des surveillantes. A gauche, le pendentif représente deux jeunes filles enlacées mais habillées, ce qui signifie que je suis initiée, au-dessus du bas indique que je suis libre en ce moment.

  Sous la veste du tailleur je porte un chemisier blanc décoré de broderie en fil d'or, un gros rubis en ferme le col ; un collier de perle à trois rangs couvre le chemisier sur la naissance de ma poitrine dont le volume est exalté par le corset grâce à de petits molletons dans le balconnet. Le haut de la jupe, avec une fine ceinture en cuir, décorée de motifs en or entre les passants, coince le chemisier au niveau de la taille, là où le corset est le plus petit. Sous le corset, une combinaison de dentelle absorbe les frottements, ses froufrous jaillissants juste sous les jarretelles au-dessus des bas.

  

  Je me regarde une dernière fois dans la grande glace du hall d'entrée de l'école. La saison froide est bien avancée, mon reflet porte un manteau de fourrure grise et blanche, Une jolie jeune fille, souriante sous sa voilette.

  _ Mademoiselle ?

  Je reconnais Sophia, la servante qui m'avait réveillée la première fois, après notre sauvetage.

  _ Je suis prête, Sophia, je vous suis.

  

  Une neige blanche tombe sur le parc, la lumière d'hiver n'est pas bien belle, je me retiens de pleurer, essayant d'oublier la tendre gentillesse de Jade, peut-être nous reverrons-nous ?

  Nous prenons l'aérotrain jusqu'à New Heaven. Il n'y a très peu de route dans cet empire, les liaisons se font en train magnétique ou en nef à anti-gravité pour les charges les plus lourdes. La gare est distante d'un petit kilomètre à parcourir à pied, sur un revêtement semblable au macadam mais de couleur sable ; un champ magnétique repousse les flocons de neige, gardant la chaussée sèche, perdue dans mes souvenirs, je n'échange pas un mot jusqu'à la station. A part l'institut, la gare et les rails suspendus à dix mètres du sol, il n'y a rien autour de nous, une sombre forêt nous entoure sur plusieurs kilomètres. Nous prenons place dans le salon d'attente de la noblesse, des employés bruns, dans l'uniforme bleu marine de la compagnie de transport, vaquent à leur tache en silence. Une autre élève est assise, bien droite, dans le salon, avec son chaperon, comme moi. Je ne la connais pas, je la trouve très belle dans son tailleur bleu, mais je n'ai pas envie de lui parler. Et puis, la chaînette de sa cheville gauche est sous son bas.

  

  L'aérotrain nous emporte vers la capitale ; nous avons pris place dans un compartiment privé réservé à la noblesse blonde, dans un univers de capiton, de bois précieux et de servantes qui viennent régulièrement nous apporter des petits gâteaux absolument pas nourrissants et un breuvage chaud qui s'apparente au thé mais sans ses propriétés fâcheuses.

  _ Le prince Boris vous attend chez le professeur, Mademoiselle.

  Boris, en vertu de sa rousseur, est donc prince. Je souris en pensant que cela a dû jeter la consternation à la cour, contrairement à moi, Boris n'est absolument pas dans les canons de beauté de l'Empire.

 

A suivre...

 

 

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