TEXTES

 

Une saison sur Boréa

 

Par Carine.

Chapitre XVI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Le bal se termine, mais pas la fête. J'ai dansé, j'ai bu, j'ai bavardé, je n'ai pas croisé Dorine, j'ai passé une merveilleuse soirée mais le pire est à venir. Enfin le pire... le point culminant de la soirée plutôt, à la mode Boréenne et dans la salle du trône : Sous le regard de l'Empereur et de l'impératrice, des princes et des princesses, des ducs et des duchesses, des comtes et des comtesses, des marquis et des marquises, des barons et des baronnes.

  

  Le déroulement de la cérémonie des fiançailles est simple : le chambellan annonce le nom d'une jeune fille, elle se place devant l'empereur, fait une révérence complète puis elle fait face à la salle, refait une révérence. Seul son futur époux la relèvera. Celui-ci s'avance et s'annonce. Si aucun autre prétendant ne se manifeste, l'Empereur frappe un coup avec son sceptre et l'union est certes, à venir, mais déjà indénouable. Si plusieurs prétendants se manifestent, les armes choisiront et plus précisément le sabre que les cadets portent au coté. Un duel au premier sang départagera les candidats. Bien entendu, il n'est pas question de tuer son rival, simplement le meilleur bretteur l'emporte. Ce rituel guerrier doit venir des origines de l'empire. Personne ne connaît les règles qui régissent l'ordre de passage devant l'empereur mais pour ce que j'en sais, tous et toutes finissent en couple, les mariages se célébrant effectivement durant les derniers mois d'hivers.

  

  Une première candidate se présente, comme par enchantement un beau cadet la réclame et la relève, elle sourit et se blottie dans ses bras. Ils vont former le premier couple. Une deuxième élue lui succède puis une troisième, je me demande s'il n'y a pas un système d'induction mentale dissimulé dans les trônes pour former aussi simplement les unions.

  _ Bettine, fille du Duc du Septrion.

  

  C'est moi !

  

  Et j'ai peur, une terreur horrible pourtant mon corps obéit à un commandement dont j'ignore la source. Je marche jusqu'à l'estrade, gravissant les marches, le port parfait, mes pieds se jouant des marches que je ne distingue pourtant pas, à cause de la robe, à cause de la posture que m'impose le corset. Mon corps exécute une première révérence impeccable, en face du couple impérial, il me semble que l'impératrice est narquoise et lointaine, il me semble que l'empereur baille d'ennui intérieurement. Je fais face à l'assemblée. Comme tout semble différent dès que nous sommes en hauteur... Donner moi une estrade et je serais reine !

  Je suis agenouillée, les yeux plantés dans le détail de la quatrième marche, je sens la tension implacable de mes membres, je voudrais trembler, frissonner, m'enfuir, mais je reste là, dans la position la plus douloureuse jamais inventer par le pire des sadiques, le corset torturant aussi bien mon dos que mon ventre, les talons aiguilles mettant mes pieds, mes chevilles, mes mollets et mes genoux à l'agonie. Je ne bouge pas d'un millimètre, je ne sais même pas si je respire encore. Je dois respirer puisque je sens le halètement de ma poitrine.

  

  _ Alexis, Comte Commandant de la troisième cohorte.

  _ Alexandre, Comte d'Estar.

  

  Un frémissement de ravissement parcourt la foule. Peut-être que les combats sont rares. Le Chambellan frappe deux coups sur l'estrade avec sa crosse.

  _ En place.

  

  Cela va vite et lentement, un étau retient ma nuque : je ne peux absolument pas relever le menton, je ne fais qu'entendre le son insupportable de deux lames qui sont dégainées, puis des pas précipités et le son non moins atroce de deux armes blanches qui s'entrechoquent, fouette l'air avant de couper la chair. Mais cela recommence, les lames claquent, je ne peux même pas fermer les yeux. Une telle immobilité est normalement impossible, même sous l'effet des drogues, je sens la douleur qui monte en onde depuis tous les nerfs de mes jambes, de ma taille, de mon cou. Les éclats d'escrimes se poursuivent et puis un cri.

  

  Un cri de rage, un cri de fureur et de dépit.

  _ Le comte Alexis est vainqueur.

  Deux lames se rengainent. Le sceptre retentit contre le trône. Une main saisi mon menton, relâchant les liens invisibles qui me maintenaient captive de ma position. Les yeux cruels d'Alexis se plongent dans les miens, Je suis debout, c'est contre lui que je frissonne, incapable de parler, bien trop choquée. J'aperçois Alexandre, un bandage sanglant autour du bras. Je me remémore son cri de fureur animal au moment de sa défaite. Suis-je vraiment à plaindre ?

  

  

  Le Duc et la Duchesse viennent jusqu'à nous, Alexis me tient toujours aussi fermement.

  _ Notre fille a été bien éduquée, Elle ne vous décevra pas, jeune Comte.

  _ C'est moi qui ne vous décevrais pas, Duc.

  

  Le cerveau dans du coton j'assiste la fin de la cérémonie des fiançailles. Contre toute attente, Alexandre prend Jade comme épouse, et Dorine finit dans les bras de son armoire à glace au visage taillé à la serpe. Je n'ai qu'une envie bien identifiée : Que Boris vienne mettre un terme à cette mascarade d'un « Viens, on rentre » définitif, quel que soit l'endroit ou l'époque où je rentre.

  

  La soirée se termine toujours par un feu d'artifices tiré depuis des barques mouillées au large, Nous nous retrouvons donc tous devant le front de mer, dans les jardins du palais. Pour l'occasion, une surpression passagère maintient une température agréable sur les balcons et les terrasses. Ainsi les couples nouvellement formés se retrouvent sous les étoiles scintillantes et le fracas des artifices multicolores qui embrassent le ciel noir.

  

  J'ai tout de même un peu froid, je me blottis contre Alexis qui dégage une force et une chaleur animale, sa main puissante me tâte sans complaisance, évaluant la fermeté des fesses malgré les multiples couches de tissus chatoyants qui séparent ma peau de sa peau.

  _ D'où venez-vous, très chère ?

  _ Du futur.

  _ Tiens donc, et comment est-il, ce futur ?

  Il semble amusé et visiblement il ne me croit pas.

  _ Détestable.

  Sa main remonte le long de ma jupe, se fixe autour de ma taille dont il inspecte la finesse puis il continue, me faisant frissonner, pour finir sur mon décolleté. Sa paume glisse sur mon sein, provoquant une incroyable sensation de tension et de douceur, il me fait fondre tranquillement, avec une assurance confondante : comme si je n'étais qu'un petit animal domestique... comme si j'étais un chat ou une chatte que l'on prend plaisir à faire ronronner !

  

  Le feu d'artifices est très beau et je me sens tellement bien dans ses bras, sans vraiment savoir si je suis dans mon état normal ou si c'est un effet secondaire et prévu des drogues que j'ai absorbées tout au long de la journée de préparation.

  

  C'est naturellement que je l'embrasse et ses lèvres sont douces comme la caresse de sa langue dans ma bouche. Je découvre que s'abandonner les yeux fermés dans les bras d'un jeune homme grand et athlétique, ma poitrine contre son torse puissant, ses mains qui jouent avec mes cheveux et qui empoigne la finesse de ma taille, hissée sur la pointe de mes talons aiguilles, cambrée et offerte à ses baisers, est tout simplement délicieux.

  

  Il s'arrête et nous regardons ensemble les volutes embrasées du bouquet final. Les dernières escarbilles retombent dans les flots.

  

  _ C'est quoi ça ?

  _ Ça quoi ?

 

A suivre...

 

 

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