TEXTES - Sophie

 

 

Souvenirs de Sophie

 

 

 

Par Fred Pody.

 

 

VIII

La marche des hauts talons

 

On frappe à la porte de ma chambre. Avant que je puisse me lever, Delphine entra, et me voyant couchée tout habillée de mes jupons, avec mes bottines à hauts talons, elle me dit très vite:

- Sophie! Lève-toi! Si jamais Caroline ou ta tante Florence te voyait couchée sur le lit tout habillée, elles en feraient un drame.

Delphine dû m'aider à me lever, mon corset récemment réduit, m'avait rendu le buste plus raide.

Deux jours maintenant que Delphine avait terminé la première période de resserrage intensif. Elle m'avait fait perdre cinq cm de tour de taille en une semaine. C'était très éprouvant, surtout le dernier centimètre, et je n'étais pas encore habituée à ma nouvelle taille.

Une fois debout, perchée sur mes talons de dix cm, je dus m'appuyer au montant du lit pour rattraper mon équilibre avant de pouvoir faire un pas.

- Dit moi Sophie, tu as vraiment fait tous tes exercices de marche?

- Oui... un peu...

- Un peu! Ou pas du tout? Tu es incapable de te tenir debout! Cela fait des jours que tu n'es pas sortie de ta chambre, et je parie que tu es restée couchée toute la journée! Sophie! Il est temps de te ressaisir, et de faire tes exercices de marche! Dans moins d'une semaine, tu devras changer de corset, porter un corset plus long qui te limitera encore plus les mouvements du buste et ce jour là, tu te rendras compte qu'il est un peu tard pour apprendre à marcher correctement. Profite donc que tu ne porte qu'un corset court pour apprendre à marcher avec des hauts talons. Aujourd'hui tu peux encore fléchir légèrement le buste, ce qui est plus facile pour garder ton équilibre. Mais comment fera-tu avec un corset long qui te rendra beaucoup plus rigide? Comment rattrapera-tu ton équilibre sans pouvoir te courber?

Delphine me fit peur, elle ne m'avait jamais parlée ainsi.

- Met ta cape! Me dit-elle. Je vais t'accompagner pour notre promenade dans le parc.

Cela fessait trois jours que je n'étais plus sortie.

- Allons! Suis-moi.

- Je t'en prie Delphine, attend moi, tu marche trop vite...

- Trop vite! Tu as oublié le premier jour de ton arrivée au château, et tes remarques sur notre lenteur pour nous déplacer. Il me semble que le corset et les talons commencent à se faire sentir...

- Ho Delphine, je n'avais jamais porté des talons et un corset et je marche très difficilement avec ces talons trop hauts pour moi.

- Nous marcherons lentement et je te soutiendrais, mais il faut que nous fassions cette promenade.

Je la suivais à petit pas précautionneux dans le couloir. C'était la première fois que j'allais sortir sans être nue sous la cape. Bien que je n'aie pas encore eu le droit de porter une robe, je me sentais lourdement vêtue avec mes sept jupons, mon pantalon de dentelle, mes chemises, mon petit corset très serré et mon cache corset, des bas et ces maudites bottines avec leurs talons de dix cm.

Chaque pas devait se faire avec toute mon attention pour ne pas trébucher, posant le pied bien a plat sur le sol, c'est à dire, la pointe du pied très tendue pour que mes orteils touchent le sol en même temps que mes talons. Ceci m'obligeait à cambrer le pied au maximum. Le pied bien posé, sans me tordre la cheville, je basculais doucement le poids du corps sur le pied, ce qui me fessait dandiner d'une manière excessive.

En voyant cela Delphine me conseilla de marcher à tout petit pas et d'essayer de poser le pied juste devant l'autre et non sur le coté, comme si je marchai en équilibre sur une ligne étroite.

Mes premiers essais ne furent pas très concluants, et mon équilibre encore plus instable.

Delphine poursuivit.

- Je te conseil vraiment de marcher en posant le pied juste devant l'autre, cette marche est un peu précieuse et l'équilibre plus difficile, mais c'est la seule méthode avec un long corset rigide et une jupe étroite. Profite de ta relative liberté de mouvement pour t'entraîner, tu ne porte qu'un petit corset et les chaînes de tes chevilles ne sont pas encore trop courtes

Tout allait bien, quoique très lentement, jusqu'au moment d'atteindre l'escalier descendant au rez-de-chaussée. L'escalier me parut particulièrement raide, ouvrant sur un gouffre sombre, d'autant plus impressionnant que les talons me grandissaient, me fessaient voir les choses avec un certain vertige.

Et pour corser la situation, mes larges jupons me cachaient les premières marches de l'escalier, m'obligeant à avancer sans voir le vide devant mes pieds.

Je devais à chaque pas, tâter le sol de la pointe de mes orteils, en espérant trouver cette première marche que je ne voyais pas. Enfin, je pus sentir le bord de la première marche, mais mes jupons s'avançaient très en avant au-dessus du vide, et je du serrer très fort la rambarde pour ne pas perdre l'équilibre et ne pas me laisser aspirer par mon vertige.

Delphine voyant mes hésitations, m'encouragea et me dit:

- Pour descendre une marche, tu dois te tenir le plus prêt possible du bord, et ensuite quand tu es bien en équilibre, avance doucement un pied et sent la bordure de la marche avec ton talon, tu te baisse lentement en faisant glisser ton talon sur la bordure de la marche jusqu'au moment ou ton pied touchera la marche inférieure. Après avoir pris ton équilibre sur le pied le plus bas, tu pose l'autre pied sur la même marche. N'essaye pas de descendre normalement, mais marche par marche. C'est un moyen plus sur quand on ne voit plus ces pieds et que l'on porte des hauts talons.

J'avançais doucement le pied droit et en me baissant un peu, j'essayais de trouver la marche avec mon talon, un fois le talon en contact avec le bord de la marche, je me laissai doucement descendre, en faisant glisser le talon. Quelle horrible sensation, en équilibre sur un pied, au bord de cet escalier vertigineux et le deuxième pied qui était toujours dans le vide, je descendais encore... un choc sur le talon, je venais de poser le pied sur la marche.

- Bien! Dit Delphine, ne bouge plus avant d'avoir retrouver une bonne stabilité sur le pied en bas.

Après quelques hésitations, je ramenais facilement l'autre pied sur la même marche.

En me concentrant sur toutes ces manoeuvres j'avais réussi à descendre d'une marche, mais le vide devant moi me semblait avoir encore augmenté. Mes jupons reposaient sur le palier derrière moi et devant, le vide... Une mince victoire, une marche et j'étais essoufflée avec mon corset qui ne me permettait pas de reprendre ma respiration. De plus j'avais les jambes qui commençaient à trembler, ma stabilité sur mes hauts talons, devenait de plus en plus précaire...

- Delphine, je t'en prie aide-moi, j'ai le vertige, je ne pourrais jamais descendre cet escalier sans tomber.

Mes jupons étalés largement devant moi, dans le vide, me donnaient de plus en plus l'impression d'être perchée en équilibre instable au bord d'un gouffre.

Je tournais la tête vers Delphine, sans bouger le reste du corps, et le regard implorant je la suppliais:

- Delphine, je t'en prie...

- Je crois que l'on va différer cette promenade. Ne te retourne pas, je vais t'aider à reculer, inutile de prendre des risques.

Delphine du me soutenir et me guider pour remonter sur le palier, je pus me retourner et rejoindre ma chambre à petit pas

- Tu es vraiment ridicule Sophie. Que de problèmes pour des talons de seulement dix cm! Je suis certaine que durant ces trois jours de repos, tu n'as pratiquement pas marché. J'ai beaucoup de travail avec l'atelier de corset et je ne pourrais pas être toujours derrière toi, t'aiguillonner pour que Mademoiselle veuille bien faire ces exercices! Tu te rappelle que Caroline doit venir demain avec de nouvelles chaussures qui ont onze centimètres de talons. Peux-tu me dire comment tu marcheras demain? Quelle explication donnera-tu à Caroline?

- Excuse-moi Delphine, mais tu m'as vraiment serrée trop fort, mon corset me coupe le souffle et me fatigue beaucoup, je n'ai plus de force...

- Tu m'accuse de t'avoir trop serrée? Tu préfère avoir une silhouette d'hippopotame?

- Non... Je suis contente que tu t'occupe de moi, je ne pensais pas que se serais si difficile et j'espérais que Caroline augmenterait la hauteur de mes talons un peu plus tard...

- Ce n'est pas en espérant que tu apprendras à marcher correctement!

- Mais... comment faire...

- Ho! Sophie, ne pleure pas, je suis ton amie. Ne craint rien, je vais m'arranger avec Caroline pour retarder sa visite avec tes nouvelles chaussures. Je trouverais bien un prétexte, mais nous devons commencer ton entraînement de suite et rattraper le temps perdu. Ta tante Florence va commencer à s'impatienter, et nous ne devons pas la décevoir. Tu dois s'avoir qu'elle me pousse à accélérer ton entraînement. Elle est très impatiente de pouvoir te présenter au concours d'entrée dans son école.

- Merci Delphine de faire patienter ma tante et Caroline.

- Ne rêve pas trop Sophie. Caroline n'attendra pas plus d'un jour ou deux, et tu devras inaugurer ton nouveau corset en même temps que tes talons de onze cm.

- Quelle importance, si je peux avoir ces deux jours de répits.

- Ho Sophie! Tu ne comprends pas. Pourtant l'expérience désastreuse de l'escalier aurait dû t'ouvrir les yeux! Des talons plus hauts, c'est moins d'équilibre, et le nouveau corset est plus long et très fortement baleiné. Ce nouveau corset te limitera beaucoup plus les mouvements du buste et de la taille, et bien sur, tu ne pourras plus faire ces mouvements pour rattraper ton équilibre.

- Ho... mais...

Je venais seulement de m'imaginer, perchée en équilibre instable au sommet de mes talons de onze cm, le corps trop rigide pour retrouver un peu de stabilité. Je m'imaginais comme une colonne vacillant sur son socle et rien ne pourrait empêcher sa chute.

- Bien dit Delphine. Me voyant perdue dans mes rêveries... Après cette promenade bloquée par un escalier un peu raide pour toi, je vais appeler Ninon, qu'elle te déshabille, change ton corset et te couche. Demain: Journée d'entraînement à la marche. Bonne nuit Sophie.

Le lendemain, après mes ablutions, parfumée, corsetée, enjuponnée... Delphine entra, et on pris ensemble un petit déjeuné léger et rapide.

Aussitôt le petit déjeuner terminé, aussitôt debout sur mes talons, les pieds cambré.

Delphine me retroussa mes jupons jusqu'aux genoux pour mieux me voir marcher.

Deux heures debout, à essayer d'avoir une démarche élégante et pas trop chaotique avec ces maudis talons.

- Le pied plus tendu! La pointe de ton pied doit se poser sur le sol en même temps que le talon! Cambre plus la plante du pied! Plus de souplesse! Ta cheville tremble, tu manque d'assurance! Non Sophie, n'essaye pas de faire de grand pas. Je vais être obligée de raccourcir la chaîne de tes chevilles! Tu vois, avec des pas plus petit, c'est plus facile. Sophie! Plus lentement je te prie! Des petits pas gracieux et pas aussi rapides! Prend ton temps.

- Mais, Delphine, je vais mettre un temps fou pour traverser une pièce. Si je dois traverser toute la salle de bal à cette allure, on va se poser des questions sur moi. Tu sais que j'ai horreur que l'on me regarde comme une bête curieuse, surtout quand il y a beaucoup de monde.

- Ma chère et tendre Sophie, je crains que tu ne puisses pas passer inaperçue dans une soirée. Les jupes étroites et les très hauts talons font parties des accessoires, qui interdisent la discrétion. En ralentissant tellement le moindre de nos déplacements, tout le monde a largement le temps de nous voir et de nous observer dans les plus petits détails. Allons Sophie, encore un quart d'heur d'exercices, et nous pourront prendre notre deuxième petit déjeuner.

Heureusement que nos corsets nous obligeaient, par la forte compression de nos estomacs, à manger un peu toutes les deux heures. Sans ces petits répits pour mes pauvres pieds, ces exercices de marche auraient vraiment été insupportables.

Et de nouveau debout, marchant de long en large dans la pièce, fessant le tour de la table, en ligne droite, en tournant, en fessant des demi-tours, en arrière, en avant... la tête me tournait, j'obéissais aux ordres de Delphine comme un petit soldat à la parade.

- Pose le pied plus délicatement! Assure mieux ton équilibre! Essaye de rester bien droite! Ne fléchi pas les jambes! Des pas plus petits! Ne te penche pas en avant! Non Sophie tu dois rester bien droite! N'essaye pas de garder ton équilibre en fléchissant la taille. Souvient toi! Dans deux jours au plus, tu ne pourras plus te courber du tous, ni en avant ni sur le coté. Le nouveau corset que je te prépare sera vraiment plus restrictif. J'ai particulièrement soigné le baleinage, elles seront plus nombreuses et plus épaisses. Je peux t'affirmer que ce nouveau corset ne te permettra plus aucune flexion de la taille.

Deux heures d'exercices, une brève pose et de nouveau deux heures à marcher, à marcher encore et encore. Delphine voulait maintenant que je marche d'une manière un peu bizarre. Je devais poser le pied juste devant l'autre, comme si je devais marcher en équilibre sur un fil de funambule. De plus je devais placer le pied d'une façon spéciale, non plus bien aligné, mais pour le pied droit, le talon à gauche et la pointe des orteils dans le prolongement du pied gauche. Oui c'est un peu compliqué. Cela m'obligeait à marcher en croisant les jambes à chaque pas, et rendait mon équilibre encore plus délicat. Ensuite Delphine m'interdisait de plier mes genoux, je devais marcher sans fléchir les jambes en faisant un petit arc de cercle. Ma jambe droite devait faire cet arc en s'écartant à droite et ensuite passant devant la jambe gauche terminer en croisant la jambe droite devant celle de gauche pour enfin poser le pied droit à... ma gauche. Cette marche plutôt compliquée et sophistiquée n'était pas évidente avec des talons hauts. Essayez donc même sans talon... L'obligation de croiser les jambes à chaque pas devait laisser des traces sur le sol des plus étranges, puisque les traces de gauche étaient laissées par le pied droit!!!

La journée fut longue et éprouvante. Mes pieds douloureux, les muscles de mes mollets tétanisés. J'étais bien trop tendue durant ces exercices, manque de souplesse par manque d'entraînement.

Au moment de me coucher, Delphine me dit.

- Rassure-toi, j'ai pu gagner une journée supplémentaire. Caroline ne viendra que dans deux jours avec tes nouvelles chaussures. Le changement se fera dans l'après midi. Il te reste deux jours et demis pour t'entraîner. Fais de beaux rêves ma chérie. A demain.

Le lendemain, levée tôt par Ninon, qui s'empressa de me pousser sous le trapèze de laçage et m'y attacha les poignets. Je fus suspendue et délacée. Ninon ne prit pas la peine de me faire descendre dans le bain. Elle me lava rapidement avec un gant de toilette, et m'habillât de mes nombreux sous-vêtements, chemise, corset strictement lacé, mes sept jupons... Delphine entra dans la salle de bain et d'habillage. Elle contrôla le laçage de mon corset ainsi que mes chaînes aux chevilles et aux poignets. C'est seulement après ces minutieux contrôles et après m'avoir cadenassé ma ceinture métallique par-dessus le corset, que Delphine autorisa Ninon de me libérer du trapèze.

Nous venions à peine de terminer notre petit déjeuner que ma tante Florence entra visiblement en colère.

- Delphine! Je viens d'apprendre que Sophie marche à peine avec des talons ridiculement petits!

- Florence me détaillait d'un regard dur.

- Lève-toi Sophie!

Je me sentais déshabillée par son inspection.

- Delphine! Comment se fait-il que Sophie porte toujours un corset court?

- Excuse-moi. Dit Delphine. Mais... l'atelier de corseterie est débordé. Son nouveau corset vient juste d'être terminé et...

- QUOI! Et pourquoi ne le porte t-elle pas en ce moment?

- Heu... pour apprendre à marcher avec des talons hauts, Sophie a besoin de garder un peu de souplesse au niveau de la taille. C'est pour son équilibre... un corset trop long et rigide l'empêcherait de...

- TARATATA! Il y a longtemps que Sophie devrait savoir marcher correctement avec des hauts talons. A ce rythme, Sophie sera une vielle dame quand elle se présentera à l'examen d'entrée de notre école.

- Mais Florence, Caroline était absente durant ces trois dernières semaines et...

- NON Delphine, ce n'est pas une raison! Tu es responsable de l'éducation et l'entraînement de Sophie! Tu devais demander à Caroline ces instructions durant son absence!

Le ton de Florence montait de plus en plus. Je ne l'avais jamais vue en colère à ce point.

- Je suis très mécontente! Ces manquements seront punis immédiatement! Vous deux! Suivez-moi dans la salle d'entraînement! Ninon! Allez chercher Caroline, qu'elle nous y rejoigne!

 

 

 

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