Une saison sur Boréa
Par Carine.
Chapitre IV
La première journée a été plutôt agréable, nous avons du parcourir huit kilomètres au grand maximum. Nous avons découvert une faune et une flore certes totalement étrangères à nos habitudes mais en rien dangereuses ou agressives. Il y a des sortes de poisons multicolores avec des yeux et des nageoires dans la rivière ; il y a des sortes d'oiseaux dans les branches ; il y a parfois, car la canopée le laisse rarement à notre vue, un ciel orange très pale où très brumeux, une brume similaire à ses journées irrémédiablement grises sur terre.
La première nuit a été moins agréable, d'abord humide, puis froide, puis humide et froide, même emmitouflés dans nos ponchos sur les couvertures de survie, à côté d'un feu qui a fini par s'éteindre, faute de branche combustible en assez grand nombre. La nuit est propice à la peur. Il est facile de se dire que nous sommes seules sur une planète inconnue avec aucune chance de survie, loin de nos parents, de ceux qui nous aiment, et que nous allons mourir très vite... et nous sombrons dans cette facilité, je sanglote sans trop de bruit et Boris ne fait pas mieux que moi, sans que nous ayons pour autant envie de nous rapprocher l'un de l'autre. Peut-être a t'il peur que je le maudisse ?
Il a tord. Je ne luis reproche rien.
Je me réveille transie, endolorie et souillée avec un jour d'avance.
Cela me vient toujours pendant que je dors.
Je tente de faire une toilette avec de l'eau et un mouchoir. Je me désespère de ma saleté et de l'état de mes beaux cheveux blonds. Puis dans un silence morose nous reprenons notre route.
Je suppose que tous les deux, nous prenons conscience de l'inutilité de notre marche : d'abord la jungle se fait de plus en plus touffue avec des lianes et des ronces aux piquants visiblement très acérés, le relief est lui aussi de plus en plus escarpé, des bruits inquiétants nous font sursauter simultanément, l'air est de plus en plus difficilement respirable, nous marchons en silence, bien misérablement.
_ Regardes !
Boris me désigne une liane qui semble organique, je tente d'en apercevoir l'extrémité au-dessus de nous.
_ On dirait une langue. Une langue dégoûtante et poisseuse et puante.
_ C'est vrai qu'il y a une odeur fétide ici.
Boris tend le bout de son opinel pour piquer la liane, elle se dérobe juste avant qu'il ne la touche dans un bruit de succion abominable ; je sursaute et me jette en arrière en criant alors que Boris, avec une rigueur toute scientifique, reste bouche bée. Puis il hurle à son tour mais en restant totalement immobile, comme pétrifié.
_ Boris !
_ Mon pied !
Je le tire en arrière par les cheveux et les épaules, il bascule sans cesser de brailler, je le traîne sur trois pas avant de regarder son pied transpercé.
_ C'est vivant !
Un dard vert pale traverse ses mocassins et son pied, il est entouré de pétales roses eux même terminés de petites boules rouges, les pétales, muent par je ne sais quel instinct, se referment sur la plaie saignante, ils semblent digérer la chaussure et la chaussette Burlington sanguinolente. Le sommet du dard est recouvert du sang écarlate de Boris et en plus, il bouge et donne des secousses terribles pour tirer Boris vers la liane qui retombe, se soulève, semble le chercher.
_ Coupes ça !
J'envisageais plutôt de m'évanouir. Boris, grimaçant, se redresse et entreprend lui-même de sectionner le dard. Si ce dernier ne réagit pas, la liane, elle, se darde immédiatement vers nous, comme un serpent mais aussi rapide qu'un fouet. Je suis déjà en train de tirer Boris plus loin et lui réussi à couper le dard qui se rétracte à une vitesse hallucinante. Visiblement privée de son unique organe sensoriel, la liane fouette l'air au hasard, là où nous nous tenions l'instant d'avant, puis elle remonte enfin vers la cime des arbres.
_ Il faut m'enlever ça !
_ Je ne... je ne crois pas.
_ Cà me bouffe le pied !
Il veut sûrement dire que les pétales qui recouvrent son pied sont aussi brûlants que de l'acide. Se pliant comme seul un jeune garçon peut le faire, il arrache enfin le dard puis il me regarde sans crier ni pleurer, ses yeux roulent comme des billes dans ses orbites. Il se laisse tomber sur le dos en respirant très fort.
_ J'ai vraiment mal, là.
Son teint vire au gris.
_ Qu'est ce que je dois faire ?
Il ne me répond pas.
Je fais donc au mieux, c'est à dire sûrement mal, puisqu'il semble dans un état second, j'explore la petite pharmacie qu'il a emmenée avec nous. Il y a un ciseau de couturière, des pansements, une pince à épiler, du désinfectant de couleur rouge et c'est tout. Je consomme la majeure partie de l'eau à nettoyer la plaie, qui par miracle ne saigne pas outre mesure, je désinfecte, ce qui le fait hoqueter de souffrance, et je bande, je suppose qu'il faudrait faire bien d'autre chose.
Dans la matinée, Nous nous étions écartés du cours d'eau, celui-ci devenait impossible à suivre à cause de gros rochers gris qui en bordaient le cours, le ruisseau lui-même étant de plus en plus étroit et impétueux. Boris avait alors décrété que la roche était du calcaire, ce qui était bon signe puisque seul l'activité biotique créait ce genre de dépôt. J'ignorais ce que cela voulait dire en réalité.
Maintenant nous ne bougons plus, Boris semble délirer et moi, à chaque seconde qui passe, je comprends enfin que je vais mourir ici, ce soir ou cette nuit ou demain dans la matinée : Nous n'avons plus d'eau. A quinze ans, on a du mal à croire que l'on peut mourir ; mais cette fois j'en ai la certitude et cela me fait une boule immense dans la gorge, un poids insupportable sur le cœur et je gaspille le peu d'eau de mon corps en larme bien inutile.
La nuit est terrifiante, la forêt où plutôt la jungle est pleine de cris trop facilement décryptables, ici un animal qui s'enfuit, là, un hurlement d'excitation dans le fracas de branchages qui se brisent, parfois le sol tremble sous le poids de pas. Il est impossible de dormir, seulement d'imaginer qu'un animal effrayant va surgir de l'obscurité pour me broyer dans sa gueule pleine de dents nacrées.
A suivre...
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